« Le petit toit que forment les livres lorsqu’on les entrouvre, tranche tournée vers le ciel, est le plus sûr des abris » Chantal Thomas
Cette phrase, Mona, vous la citez dans l’introduction de votre livre Chez soi : une odyssée de l’espace domestique, en espérant que vos futurs lecteurs y trouvent « un abri de cette sorte ». Outre qu’elle est sublime, elle montre à la perfection ce que ce livre, le vôtre, a représenté et représente toujours pour moi. J’espère que ça ne vous dérange pas que je vous appelle Mona. Je sais bien que cela peut donner l’impression que les choses vont un peu trop vite entre nous, après tout vous ne me connaissez pas. Mais moi si. Enfin, peut-être. Je connais ce que vous voulez bien dire de vous dans vos livres, vos articles, votre fil Facebook ou celui de Twitter. Non je ne vous espionne pas (ou si mais en tout bien tout honneur, il faut me croire). Mais dans vos livres, vos articles du Monde Diplomatique, par les livres que vous aimez, et bien sûr votre site Périphéries, vous vous racontez. Les articles que vous repostez sur les réseaux sociaux parlent aussi de vous et de ce qui attire votre attention. Et… comment vous le dire ? J’adore cela. J’adore saisir les petits ou gros morceaux de vous que vous offrez tout sauf négligemment à notre curiosité. C’est aussi grâce à cela que vos livres peuvent avoir cette importance, ce retentissement, cet écho en chacun de nous.
Et plus spécifiquement encore, en chacune. Je vous ai découvert pour la première fois grâce à votre précédent livre, Beauté fatale, en 2012. Ma tante, féministe dans l’âme entre autres choses, me l’avait offert à Noël. Bienheureuse intuition, je l’ai fini en moins de 3 jours. Pourquoi un tel appétit ? J’avais 23 ans, je commençais à tomber dans la grande marmite du féminisme, naviguant à l’aveugle d’articles bien agencés mais peut-être trop politiquement corrects en posts de blog foutraques mais tout sauf tièdes ou nuancés. Je vous dois de ne pas m’être imprudemment noyée. Avec votre manière juste et claire de présenter les enjeux de lutte en les rapportant à ce qui fait le quotidien des femmes et tout ce que nous trouvons hélas normal, « c’est malheureux mais c’est comme ça », vous m’avez aidé à y voir plus clair. Vous m’avez fait rire, vous m’avez ému lorsqu’entre deux citations vous racontiez votre parcours personnel pour résister à ces pressions, de déconvenues en victoires. Et vous le racontez si bien.
J’ai relu ce livre tant et tant de fois que la couverture en semble toute passée. J’ai revu dans ma tête toutes ces conversations avec des proches, des commentaires acerbes sur le puritanisme américain en 2011 lors de l’affaire Strauss-Kahn aux cris d’orfraie sur le port du voile, d’un autre œil. J’ai tout vu d’un autre œil en réalité mais cet œil était plus acéré, plus précis. Mais fut un moment il a bien fallu se nourrir d’autre chose. Alors je suis partie en quête de plus de vous. J’ai découvert Périphéries.net, j’ai davantage prêté attention au Monde Diplomatique, j’ai lu Rêves de droite, La tyrannie de la réalité. Je vous dois d’avoir découvert Susan Faludi, Rokhaya Diallo, Chantal Thomas, Annie Ernaux, Seï Shônagon, Junichirô Tanizaki, Fatima Mernissi. J’ai encore toute une liste. Je n’ai jamais lu autant d’essais que ces 3 dernières années et je vous remercie pour cela.
Aussi me suis-je précipitée, lorsque j’ai appris la parution de Chez soi. J’en attendais un éblouissement semblable à celui de Beauté fatale, autant dire trop. De fait. Je n’ai pas été éblouie, j’ai été subjuguée. Cela va peut-être vous paraître un peu exagéré de dire que ce livre a été une révélation. Une révélation est supposée nous promettre ce dont nous ne sommes pas encore familiers et quelque part c’était un peu le cas. Jamais encore je n’avais vu ou entendu affirmer aussi sûrement et tranquillement que mes propres aspirations étaient absolument légitimes. Ne pas consacrer tout son temps à son travail, à sa carrière ? Alors même qu’on ne se voit pas tellement avoir des enfants ou habiter en couple ? Il y aurait donc d’autres manières de se voir comme une écrivaine, voir comme une journaliste ? D’autres façons d’aimer, de voyager ? Tout cela vous l’affirmez, vous l’écrivez avec sérénité. Vous mettez tout cela en parallèle avec votre propre vie de manière à ce que l’on se leurre pas sur la difficulté bien réelle que cela représente de vouloir sortir des clous. Vous êtes d’une sincérité parfois troublante. Lorsque vous parlez de la difficulté de refuser la mobilisation permanente, de faire accepter son besoin de solitude sans pour autant être un artiste maudit, du grand écart mental qu’implique de montrer son ambivalence face au modèle traditionnel que l’on se doit de rejeter si l’on se déclare féministe, vous parlez vrai. Ce que vous semblez dire, c’est « Tu n’es pas seule, c’est normal. Personne n’a jamais dit que cela serait facile mais il ne faut pas se perdre soi-même pour autant. Il faut continuer à lire, à écrire, à discuter, à l’ouvrir. A espérer, pour résumer. »
Qu’est-ce que j’ai pu parler de vous à mes amis, lorsque je pensais que leur sensibilité pouvait s’en repaître! En ce qui concerne mon entourage, je pense que tous savent ce que je ressens pour vous. Certaines amies vous ont lu sur mes conseils, vous aiment maintenant presque autant que moi, c’est une belle victoire. Ma propre mère était très intéressée mais trouvait les pages de votre édition Zones imprimées trop petit. Alors nous avons lu Beauté fatale ensemble, à voix haute, patiemment. On ne pourra donc pas dire que je ne me suis pas dévouée à la cause, c’est certain.
Merci donc. Merci de vous emparer de tous ces sujets qui s’offrent à votre convoitise et de les traiter comme ils le méritent : avec honnêteté et passion, de manière à la fois pertinente et inattendue.
J’espère que vous continuerez à prendre la parole. En tout cas je suis certaine de continuer à y trouver un abri, de ceux qui ne cloisonnent pas mais ouvrent sur de nouveaux horizons. Par les temps qui courent, nous en avons bien besoin.
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