Délaissons un peu l’angoisse pour aujourd’hui, voulez-vous ?
« J’aimerais vraiment bien un jour être capable de voir à l’intérieur de ton cerveau. Tu es un peu comme une machine ultra perfectionnée qui aurait des piles usagées. »
(Couverture américaine de Drinking at the movies, d’où viennent toutes les images suivantes)
Cette phrase est prononcée par un des amis de Julia alors qu’ils boivent tous les deux dans leur bar habituel. S’en suivra vraisemblablement la biture habituelle qui poussera cette personne étrange qu’est Julia Wertz à se réveiller en pyjama à 4h du matin dans une laverie automatique, le jour de ses 25 ans, sans aucune idée ou vague souvenir de l’enchaînement d’évènements forcément étranges qui l’ont poussé là.
« La dernière chose dont New York a besoin, c’est de l’énième histoire d’un abruti qui débarque et qui, de galère en galère, va finalement trouver son chemin et devenir célèbre. Malheureusement c’est exactement le propos de ce livre »
Voici, en substance, la manière dont elle présente sa bande-dessinée Drinking at the movies (Whisky and New York pour la version française), histoire d’être sûre que nous allons vouloir continuer à tourner les pages.
De Julia Wertz nous savons bien peu de choses, sinon qu’elle est née et a habité à San Francisco avant de tout quitter pour tenter l’aventure new-yorkaise lorsqu’elle avait 20 et quelques années. De cette période transitoire de sa vie elle tirera un album qui décomplexera quiconque s’est déjà senti particulièrement déplacé dans n’importe quelle situation sociale, avec la preuve par mille que cela aurait pu être tellement pire.
Voici ce que l’on peut trouver dans la présentation de l’auteur de l’Agrume, la maison d’édition française qui a adapté son œuvre dans la langue de Molière :
« Julia Wertz est née en 1982, dans la région de San Francisco et vit actuellement à Brooklyn. Enfant, elle voulait devenir spéléologue pour attraper des organismes extrêmophiles, dans l’espoir de trouver un remède au cancer. Ce rêve prit fin le jour où son frère l’enfourna dans un sac de couchage, péta dedans, la poussa dans les escaliers, et qu’elle réalisa qu’elle était claustrophobe. Elle est donc devenue illustratrice. »
Ça devrait vous donner une idée assez juste de l’auteure devenue célèbre avec un premier album intitulé Fart Party.
Mais Julia ne fait pas que mettre en scène ses mauvais plans, ses galères d’appart et ses jobs improbables. Si elle nous invite à en rire, il y aussi de quoi sérieusement se trouver mal lorsqu’elle évoque au final très frontalement ses problèmes d’alcoolisme, en mettant en scène son propre cerveau s’échappant de sa boîte crânienne pour courir les raves. Ou l’addiction aux drogues dures de son petit frère, qui manquera d’ailleurs de mourir d’une overdose à ce moment-là de sa vie. Celle qui apparemment a beaucoup souffert de dépression exprime avec une justesse et une pudeur sans égale cette horrible sensation de culpabilité qui vous prend lorsque l’un de vos proches va mal et que vous n’êtes pas là, parce que vous avez quelque part fait sécession en décidant de vivre loin. Ce sentiment rongeant et horrible de ne pas être là quand, peut-être, on ne sait pas, le fait que vous soyez là aurait pu changer certaines choses, voir empêcher l’évènement de se produire. Souvent bien sûr la raison, voir la logique vous remettent les pieds sur terre mais cette culpabilité de ne pas être là et de façon générale, de ne pas être là, près, depuis si longtemps, continuera de vous suivre.
Ah tiens j’ai parlé de l’angoisse finalement. C’est rigolo j’avais pas vu venir.
(Merci Julia)
Mais bref, l’important n’est pas là non plus et ça n’est d’ailleurs pas emblématique de son style, qui consiste avant toute chose à se moquer d’elle-même et des gens qu’elle aime (aussi de ceux qu’elle n’aime pas ceci dit) en mettant en scène toutes ses petites et grosses misères. Et au final, ça s’arrange toujours. La preuve elle est toujours auteure et elle n’a, que je sache, jamais eu à descendre dans une grotte.
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