La FOMO : qui est-elle, quels sont ses réseaux ?

De tous les troubles générés par la vie moderne, je crois qu’aucun ne nous influence autant au quotidien que la FOMO. Ceci est un acronyme dégueulasse mais terriblement pratique signifiant Fear Of Missing Out, peur de rater quelque chose, cette affection qui nous fait sans cesse nous projeter mentalement dans un autre lieu où il se passe quelque chose d’autre que le lieu où nous nous trouvons dans l’instant. Ce faisant, nous déconnectant de ce que nous sommes en train d’y vivre. La FOMO est aidée en cela de son meilleur allié : le smartphone connecté.

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(Film partenaire du jour : What if de Michael Dowse, la meilleure comédie sur l’amour et la FOMO)

J’ai cédé au sortilège de la connexion hors de la maison il y a très peu de temps, 2 mois en fait, comme j’avais cédé au smartphone lui-même il y a environ 1 an et demi, lors de mon voyage au Brésil. C’était la bonne excuse, j’avais besoin d’un appareil qui me permettrait de contacter mes proches sans m’encombrer d’un ordinateur, j’ai découvert Whatsapp, Messenger, c’était parfait, ça s’est effectivement imposé. Dans ces cas-là, il n’y a pas de retour en arrière possible, une fois qu’on a goûté à la technologie. Aujourd’hui je ne me verrais vraiment pas retourner à mon vieux-phone sans Internet, sans applis et sans écran tactile. Et le cercle de la consommation par l’obsolescence programmée reprend de plus belle.

Même chose avec Internet. Me contenter d’attraper de temps à autre des réseaux Wifi me convenait tout à fait, jusqu’à ce que ce facteur devienne déterminant dans le foirage d’une relation à distance particulièrement chaotique. Et que l’on commence, même en dehors d’elle, à se plaindre qu’on ne pouvait pas me contacter sur Whatsapp pour se retrouver dans la rue ou ailleurs. J’ai donc sauté le pas, sans pour le moment passer à l’Internet illimité même si je me doute que ça ne saurait tarder.

Ceci dit la FOMO n’a pas attendu qu’un smartphone ou Whatsapp entrent dans ma vie pour se manifester. J’ai toujours ressenti cette faim dévorante au fond du ventre, celle qui nous hurle qu’il faut tout voir, tout lire, tout entendre. Enfant et ado déjà, il y avait beaucoup trop de livres, d’histoires passionnantes, de musiques qui réclamaient mon attention, trop de sujets qui me semblaient dignes d’intérêt. Puis est arrivé Internet et la débandade a commencé.

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Je me faisais la réflexion l’autre jour, lors d’une visite dans le musée d’histoire d’un pays qui en a une des plus lourdes d’Europe, qu’il fût un temps où il était possible de tout connaître, que l’imprimerie n’existant pas encore et la science n’en étant qu’à ses balbutiements, il était possible pour quelques grands et riches érudits d’avoir une vue d’ensemble de tout ce qui pouvait se savoir à l’époque, quel que soit le domaine, d’avoir lu tous les livres jamais écrits. Cette idée me trouble au plus haut point. Ainsi donc il y a eu un temps où cette notion n’avait même pas lieu d’être ?

Il est assez paradoxale en même temps que franchement compréhensible que la FOMO en tant que sujet ait pris son essor avec Internet et plus particulièrement les réseaux sociaux. Sachant l’immensité vertigineuse du World Wide Web, on ne devrait même pas espérer un jour lire ou voir tout, on ne devrait même pas y penser, tant la tâche est insurmontable. Et pourtant, elle nous submerge.

What If Movie

Quand lâcher son téléphone deux minutes est au dessus de nos forces

Mona Chollet elle-même en parle très bien (comme toujours) :

« Puis je me suis inscrite sur Facebook et, de fil en aiguille, sur Twitter, sur Pinterest. Je me suis dotée d’un lecteur de RSS, qui permet de récupérer les nouveaux articles de tous les sites qui vous intéressent en les classant par thème. À partir de là, c’est comme si, après des années où j’étais restée solidement campée sur le rivage, à me contenter de lancer de temps à autre mon hameçon dans le flot numérique, une main géante en avait émergé et m’avait empoignée pour m’y faire plonger la tête première.

Fini les petites balades régulières sur une poignée de sites, toujours les mêmes : le système de la recommandation de liens me propulse d’un bout à l’autre du cyberespace, tel le Baron de Münchhausen sur son boulet de canon. Et impossible de m’en détourner en décrétant qu’il s’agit d’une perte de temps, d’une occupation futile ou inepte : le plus souvent, en dépit de la posture dédaigneuse qu’il est de bon ton d’adopter à ce sujet, si l’on tend ses filets aux bons endroits, c’est intéressant – et c’est bien cela le pire. »

On pourrait ne faire que ça, lire, écluser, se promener de lien en lien. Il m’arrive, comme à tous je crois, de parfois tomber dans une sorte de transe hypnotique en scrollant sur Facebook, absorbée pendant beaucoup trop de temps par tout ce qui se présente à ma curiosité, puis de me réveiller soudain, éberluée devant le temps qui vient de s’écouler sans que je m’en aperçoive. Souvent même cette exploration passe de joyeuse à morbide, car on ne peut plus ignorer toutes les atrocités qui se jouent ailleurs dans le monde, toute la sauvagerie sournoise des rapports de force auxquels nous pouvons être confrontés, tout nous arrive de partout et je ne sais pas toujours y faire face. Je reste prostrée face à ça, incapable pourtant de détourner les yeux, considérant comme lâche de refuser de savoir mais capable d’en faire des cauchemars.

Mais pire encore que la soif de connaissance attisée et comblée à la fois par Internet, il y a la possibilité de voir ce qu’il se passe partout, tout le temps. Quand je dis partout, c’est à notre échelle géographique cette fois, dans la ville où nous vivons. L’excellent Boulet en a fait une note récemment d’ailleurs (va voir, tu ne seras pas déçu) où il le dit lui-même :

« J’ai eu 20 ans en 1995 et le soir, on se faisait souvent chier. Je crois que la moitié des gens que je fréquente, je les connais d’Internet. Grâce aux portables et aux réseaux sociaux, je sors 10 fois plus et je rencontre 10 fois plus de gens. »

Il montre très bien tout ce que cela nous apporte comme potentiel de joie et ça fait aussi du bien de voir quelqu’un d’aussi optimiste à ce sujet (il explique aussi pourquoi on a tendance à en être aussi dépendants que flippés de l’être). Mais c’est justement là que la FOMO trouve la meilleure occasion de s’exprimer.

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Et parfois aussi tout tombe au poil

Comment choisir ? On peut voir tout ! On pourrait tout faire ! On voudrait tout faire ! Ce concert a l’air génial mais le sera-t-il autant que cette soirée ? Que cette projection unique au cinéma ? Que cette ballade au hasard ? Alors que pourtant on est crevés et qu’au final il serait bien mieux de rester au chaud avec un bon film ? Voyons voir, quel film ? Ah oui, ils sont tous là, on pourrait tous les voir, gratuitement. Ah celui-là j’en ai entendu parler, celui-là on m’a dit qu’il était génial… le cycle est sans fin.

Et même lorsqu’on a enfin un plan arrêté, une heure fixée, des gens prévenus, il arrive toujours, le message de dernière minute nous proposant cet autre plan alléchant et on s’interroge, et si je vais là vers telle heure, ça me fera arriver plus tard là-bas mais ça se tente. Au final on court partout, on pose parfois des lapins malpolis et au final on regrette que la pensée qu’ailleurs aurait pu être mieux (sans certitude autre que le mystère qui entoure cet évènement) nous ait gâché un moment plus qu’agréable.

Et que dire, même si je ne vais pas trop développer, de l’amour aujourd’hui ? Comment serait-il possible de se poser 5 secondes pour tenter de connaître quelqu’un alors qu’au moindre pépin, un swipe sur la droite peut nous permettre de rencontrer une nouvelle personne ? Et pourquoi continuer de parler avec cette personne quand d’autres encore sont à découvrir ? Comment se limiter ? Et pourquoi d’ailleurs ? On perd en intimité ce que l’on gagne en fantasme, le sacrifice est tout de même lourd.

Et si… ? Et si… ? La seule chose que ces scénarios alternatifs ont finalement de mieux que notre réalité est justement leur caractère imaginaire, qui rend toutes les projections possibles, tous les fantasmes réalisables.

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Comme le disait un utilisateur de Reddit pourtant, « L’herbe n’est pas plus verte ailleurs, elle est plus verte là où on l’arrose. »

C’est inspirant tout de même, c’est vrai qu’on court trop… Et qu’en est-il du parfum des roses ? Il faut se calmer, il faut respirer, zen, chakras, tout ça… ah oui c’est vrai j’ai un cours de yoga de prévu. Attends j’avais dit à Truc qu’on allait boire un verre ensemble à la même heure. Et puis il y a cette expo qui est super top paraît-il, si ça se trouve on pourrait…

Ouais… y a encore du boulot.

PS : et parce que je ne veux pas manquer cette occasion de lui faire de la pub, cette fantastique chronique sur la FOMO de la délicieuse Marina Rollman

2 réflexions au sujet de « La FOMO : qui est-elle, quels sont ses réseaux ? »

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