Une autre histoire bizarre qui n’arrive jamais dans les films car ça ne serait pas crédible une seconde
(500 days of Summer, de Mark Webb)
J’ai déménagé au début du mois de juin, avec une connaissance rencontrée quelques semaines plus tôt. Cette connaissance s’appelle Pedro (pour une fois je vais mettre les noms, ça se justifie vous allez voir) et nous avons dû, pour des raisons évidentes d’organisation, discuter souvent par téléphone pour régler certains menus mais essentiels détails.
La veille de mon emménagement, je reçois à mon travail un appel d’un numéro inconnu. Je réponds, une voix d’homme que je n’identifie pas me demande si l’on peut discuter. En réponse à ma question, j’obtiens comme réponse « c’est Pedro ». Je ne me pose aucune question car même si environ 15 % de la population masculine portugaise porte ce prénom, seul un est à priori en possession de mon numéro de téléphone. Je lui dis que je suis occupée, demande si je peux le rappeler plus tard, il est d’accord.
Plus tard, en sortant et en me disant qu’il s’agit sûrement de quelque chose de lié à l’appartement, j’appelle mon futur colocataire sur son numéro habituel et, vu que je n’obtiens pas de réponse, rappelle le numéro inconnu en pensant bêtement qu’il a dû appeler du numéro de quelqu’un d’autre pour toutes les raisons techniques qui font qu’on utilise parfois un autre numéro que le sien propre pour communiquer, du manque de batterie à la chute de l’appareil dans un caniveau en passant par l’accident industriel.
On me répond. Nous discutons un peu, je lui demande si son appel précédent était dû à un souci avec l’appartement ou avec notre organisation déjà établie pour mon emménagement. Un blanc, il ne voit pas de quoi je parle. Le doute me prend, je lui demande si il a changé de numéro et pourquoi ça n’est pas le même que d’habitude, il me répond que non, il a celui-ci depuis des années. Visiblement autant dans le doute que moi, il finit par me demander mon prénom, je réponds Mariana, la version portugaise de mon prénom que j’utilise généralement, ce qui a l’air de le conforter dans l’idée qu’il parle à la bonne personne.
Là où les choses prennent une tournure étrange cependant, c’est lorsqu’il me demande où je me trouve. Je donne le nom de la place, qui se trouve de manière assez pratique près de mon futur appartement, il s’exclame alors : « je ne suis pas loin, attends-moi ! ».
Un peu confondue je mets fin à l’appel et me décide à attendre, je ne suis finalement plus sûre du tout qu’il s’agisse du Pedro que je connais mais si il y a la moindre chance que ça soit lui et qu’il ait quelque chose d’important à dire, je préfère attendre même s’il est tout aussi étrange qu’il ne m’ait pas dit au téléphone directement la raison de cet appel. Quelques minutes passent, je me décide à me diriger vers l’appartement, certaine de le croiser en chemin. En route il me rappelle pour savoir où je suis, je lui dis que je suis en chemin vers l’appartement, qu’il peut m’y attendre. Il ne comprend pas, me dit de m’arrêter et de l’attendre là où je me trouve. De plus en plus confondue je reste figée sur place comme un fromage. Je suis très nulle pour reconnaître les voix au téléphone et je ne connais Pedro que depuis peu de temps, je me dis qu’en plus ils auraient peu ou prou la même voix que ça ne serait qu’un hasard incroyable de plus.
J’attends. J’attends. Je vois passer plein de gens, il me rappelle une fois, me disant qu’il arrive. C’est un lieu de passage, on y repère facilement les gens qui stationnent alors j’essaye de le repérer tout en me disant que si il ne s’agit vraiment pas du Pedro que je connais, cette accumulation de coïncidence est vraiment trop énorme et que je dois en avoir le cœur net. Les minutes passent, et alors que lors de son dernier appel il m’avait assuré être à une dizaine de mètres je ne vois toujours personne. Je n’ose pas rappeler. Finalement j’avise un homme, totalement inconnu donc, stationner avec son vélo à quelques mètres devant moi, regarder autour de lui et consulter son téléphone avec ce qui ressemble à de la circonspection. Je l’observe à distance, mon téléphone à la main en attendant de voir s’il va se mettre à sonner pour me confirmer qu’il s’agit bien de mon correspondant mystère. Mais rien, l’inconnu repart finalement sur son vélo, ayant sans doute fini par réaliser le quiproquo.
Je finis par reprendre le cours normal de mon existence, à savoir le chemin de ma future ex-maison en bordel où je m’apprête à passer ma dernière nuit, en méditant sur le fait qu’une rencontre pareille n’aurait pas déparé dans une comédie romantique super kitch même si on l’aurait sans doute trouvé trop tirée par les cheveux du bon sens. Imaginez, un homme ayant pris le numéro d’une certaine Mariana que visiblement il espérait revoir, s’étant sans doute trompé d’un ou deux chiffres pour finalement noter le mien sans le vouloir, m’appelant et n’étant pas surpris de tomber sur une Mariana donc sans se douter que ça n’est pas la bonne. M’appelant moi sachant que de mon côté j’étais à l’affût d’un potentiel appel d’un Pedro car j’emménageais avec lui le lendemain. Que tous les deux croyant avoir à faire à une totalement autre personne nous trouvions en plus dans le même quartier dans lequel il espérait visiblement donner rendez-vous à Mariana, tandis que je m’y trouvais car j’y travaille et m’apprête à y emménager.
Et qu’au final il nous faille à tous les deux presque une demi-heure de jeu de chat et de la souris pour nous rendre compte que nous ne parlions absolument pas à la personne à laquelle nous pensions parler, trop peu connue de chaque côté pour que nous puissions la reconnaître à la voix mais tous les deux suffisamment anxieux de la rencontrer pour se permettre d’attendre et de faire tous ces tours et détours.
Le lendemain, jour de mon emménagement, lorsque dans un dernier moment de doute je demande à mon maintenant colocataire si il a ou pas essayé de me joindre la veille, il s’avère que non, bien sûr. Sa réaction à mon histoire en accrédite le kitch :
« C’est dommage que vous ne vous soyez pas rencontré au final, tu as peut-être raté le père de tes enfants ! »
De mon côté j’espère tout de même qu’il va réussir à revoir cette Mariana pour qui il nourrissait peut-être des espoirs similaires.
Franchement c’est dingue la vie qu’on mène, des fois on se sent tout petit.