On désigne généralement le genre « comédie romantique » de cette manière: ce qu’il y a de plus important, ce sont les péripéties car la fin est évidente et bien connue de tous avant même que le film ne démarre. On sait que les deux héros vont finir ensemble à la fin, heureux et amoureux et ce peu importe ce qui les sépare au début, au milieu et même à la toute fin. Mieux même, plus ils se détestent ou sont dissemblables, plus gratinés et inattendus seront les obstacles à outrepasser pour enfin vivre leur amour.
(Je ne parlerai pas de ce film car il m’a moins marqué mais il aurait eu tout à fait sa place: Celeste and Jesse forever, de Lee Toland Krieger)
C’est sans doute pour ça que les films de ce genre ont particulièrement explosés dans les années 90 et 2000, à une époque où l’on pouvait revendiquer une vision de la vie plus optimiste et où l’on acceptait sans doute aussi de s’identifier plus facilement à des personnages dont les vies ne ressemblaient pas du tout aux nôtres. Pour exemple, on parle souvent de Sex and the City pour ça, où en effet pour ce que j’en sais les vies des protagonistes, des New-Yorkaises free du frifri pétées de tunes qui enfilaient des talons de tailles de demies baguettes pour sortir se taper des cocktails en rêvant au Grand Amour, ne correspondaient pas à la vie de la majorité des personnes qui les regardaient. Mais quand bien même, c’était un moment où l’on croyait au progrès dans tous les sens du terme et je suppose qu’on ne les voyait pas comme des caricatures de modèles inatteignables mais comme des projections fantastiques de ce que nous pourrions vraiment être un jour. Maintenant on regarde Girls et Game of Thrones mais le moins qu’on puisse dire est qu’on s’y identifie en creux, par ce que les héros font mal plus que ce qu’ils font de bien.
Les choses ont un peu changé aujourd’hui donc, les crises s’enchaînent, écologiques, économiques, les prises de conscience aussi et c’est heureux. Je crois qu’on peut aussi parler en ce moment d’une crise sentimentale (ou est-ce une révolution… ?) et au milieu de tout ça, les comédies romantiques qui dépeignent l’arrivée du Grand Amour, le Seul l’Unique Celui Qui Durera Toute la Vie et « Olala je m’y attendais tellement pas ! » n’ont plus tellement leur place. Au mieux les regarde-t-on avec l’œil un peu humide du cynique contrarié qui au fond y croit encore tout en sentant trop désabusé pour l’assumer pleinement.
Mais certains films, comme les deux dont je vais parler à présent, ont plus que bien saisi ce sentiment de désabusement généralisé mâtiné d’espoir et avec malgré tout un message positif. Je les aime énormément car ils parlent d’amour, ce qui est toujours cool, mais ils en parlent bien et de manière adaptée à l’époque, à ce sentiment de choix trop durs à faire ou de monde qui part en sucette mais où l’espoir fait vivre même si on doit en passer, hé bien oui, par la rupture pure et simple. Et ça c’est encore mieux.
J’avertis par contre, il y aura du spoiler !
(500) days of Summer, 2009, réalisé par Marc Webb, avec Joseph Gordon-Lewitt et Zooey Deschanel
C’est assez évident je sais, et pour cause, ça a été l’un des premiers à remettre en cause ce paradigme du film romantique qui voit forcément les protagonistes finir ensemble et heureux dans un beau mélange de fluides corporels variés et aussi l’un de ceux à le faire aussi bien.
D’ailleurs le film nous prévient depuis le début, histoire qu’on ne se fasse pas une idée trop hâtive : « This is a story of boy meets girl. But you should know upfront, this is not a love story. »
Il faisait partie déjà de mes films adorés depuis que je l’avais vu pour la première fois il y a quelques années car je l’avais trouvé suffisamment dur quant à notre vision de l’amour pour être réaliste, en plus d’avoir des acteurs fantastiques, une mise en scène au top et un BO parfaite qui m’avait valu environ 5 mois d’obsession musicale intense.
Mais est-elle si dénuée d’espoir, la vision de l’amour dans ce film ? On pourrait le penser vu que les deux personnages, Tom et Summer, ne finissent pas ensemble à la fin mais une vidéo du youtubeur cinéphile Durendal en 2014 m’avait fait changer d’avis là-dessus, en plus de m’aider à me rendre compte à quel point le film nous en mettait plein les mirettes niveau mise en scène.
Pour ceux qui ne l’auraient pas vu, le film raconte l’histoire de Tom et Summer, deux vingtenaires qui se rencontrent à leur travail. L’histoire est racontée du point de vue de Tom, un jeune homme obsédé par le Grand Amour, celui qu’on lui a vendu dans tant de films, de chansons et de livres. Summer elle est beaucoup plus prosaïque et croit autant en la possibilité d’une âme-sœur qu’au Père Noël depuis le divorce de ses parents. Ils vont sortir ensemble, avoir une relation à laquelle Summer va mettre fin brusquement, dévastant Tom qui va tout tenter d’abord pour la récupérer puis pour l’oublier, avant d’enfin parvenir à se reconstruire. Les 500 jours du titre font référence au temps qui s’écoule entre leur rencontre et le moment où Tom parvient enfin à symboliquement la laisser partir, ici grâce à sa rencontre avec une autre femme.
(J’ai toujours pas pigé pour la parenthèse dans le titre par contre mais bon, il y a beaucoup de choses en ce monde que je ne comprends pas)
J’étais pourtant parfois surprise par ce que mon entourage avait à en dire. En discuter avec des ami-e-s m’a parfois permis de me rendre compte que la manière dont on décide de raconter une histoire est tout sauf anodine. En l’occurrence ici c’est le point de vue choisi qui ne l’est pas et conditionne de fait notre version de l’histoire. Elle est racontée du point de vue de Tom, celui qui tombe amoureux, se projette trop et finalement ne comprend pas pourquoi il se fait finalement quitter. Celui qui recherche tellement l’Amour tel qu’il s’en fait l’idée qu’il refuse de voir que les envies et les croyances de Summer ne matchent pas avec les siennes et qui s’en trouve déçu. Beaucoup de gens m’ont surpris cependant en blâmant Summer pour être partie, pour avoir « joué » avec les sentiments de Tom, quand il était pourtant clair dans son discours qu’elle ne recherchait pas une relation sérieuse et ne croyait pas en l’amour, refusant ainsi d’être seulement le réceptacle passif des attentes de Tom. Je me demande si on aurait dit la même chose si les rôles avaient été inversés, la femme espérant avoir rencontré le grand amour envers et contre toutes les évidences et l’homme décidant de partir parce qu’il n’y croit pas. Est-ce ma mauvaise foi naturelle qui me fait penser qu’on on aurait bizarrement trouvé ça beaucoup plus normal ?
Pourtant tout n’est pas noir car, pour en revenir à la vision de l’amour présentée et comme le dit Durendal en analysant le montage du film, (500) days of Summer est au final un film sur le grand amour, juste pris sous un angle différent. Si la majorité des films romantiques se concentrent sur la minorité des histoires, c’est-à-dire les plus importantes et donc forcément les moins fréquentes, celui-ci peut être considéré comme une origin story des films qui l’ont précédé, les histoires d’amour foirées des personnages de comédies romantiques qu’habituellement on ne montre jamais, qui arrivent avant les films ou se nichent dans leurs ellipses narratives. Les histoires auxquelles pourtant ils ont cru même si la rencontre avec leur grand amour les leur fait paraître rétrospectivement anecdotiques, pour lesquelles ils ont souffert et qui n’étaient jamais vraiment le point central d’une histoire. Voilà pourquoi il parle d’amour avec passion sans être une comédie romantique pour autant et voilà pourquoi je voulais le citer dans cet article, car peut-être bien qu’il a pas mal influencé le prochain dont je vais parler. On ne sait jamais.
La La Land, 2016, réalisé par Damien Chazelle, avec Emma Stone et Ryan Gosling
J’ai adoré La La Land. Vraiment original n’est-ce pas?
Comme le disait un ami, c’est vraiment la fin qui donne tout son sens au film, sans elle finalement l’histoire d’amour de Mia et Sebastian ne méritait pas plus qu’une autre d’être racontée. Je considère que toutes les histoires valent la peine d’être racontée, dépendant bien entendu de comment on l’attrape. Une histoire géniale sur le papier peut devenir une horreur inconsistante une fois sur grand écran et vice versa bien sûr, un projet peu emballant au premier abord peut s’avérer passionnant pour un peu qu’on s’y prenne bien. De la même manière et vu finalement le peu de schémas d’histoires existants et tous ayant déjà été utilisés sans arrêt depuis l’Antiquité, on peut raconter trente mille fois la même histoire d’amour sans que ça fasse trop réchauffé, le plus important étant la manière et les enjeux plutôt que l’originalité supposée du récit lui-même.
De toute évidence, La La Land se classe dans cette catégorie. Des histoires d’amour ou de carrière, qu’elles capotent ou pas, il y en a eu à moudre. Des histoires qui se passent dans le strass et les paillettes d’Hollywood, encore plus. Des histoires de wannabe acteurs ou musiciens qui finissent à force de travail et de niaque par connaître le succès, à ne plus savoir qu’en faire. Des comédies musicales, à foison. Des films magnifiques visuellement parlant, avec une mise en scène totalement dingo, un travail sur les couleurs vraiment réfléchi et des plans-séquence tarés, à ne plus savoir qu’en faire. Des hommages aux genres populaires dans les décennies précédentes et un peu tombés dans l’oubli depuis, des réactualisations et modernisations, pléthore !
C’est tout ça La La Land, à n’en pas douter. Mais pour revenir au sujet qui nous occupe et de la même façon que l’a fait (500) days of Summer, c’est la perception de l’amour romantique que tout j’ai trouvé atypique. L’histoire entre Mia et Sebastian y est déroulée de façon somme toute très classique, ils ont chacun un rêve qu’ils peinent à atteindre et tentent chacun de coller aux attentes de l’autre (parfois au risque de se perdre eux-même) et de se relever mutuellement lorsqu’ils trébuchent ou ne parviennent plus à y croire. Sebastian soutient Mia comme actrice à bout de bras, allant jusqu’à aller la chercher dans le Colorado pour la convaincre de passer l’audition qui finalement lancera sa carrière. La poursuite de leurs rêves s’avérant finalement incompatible avec leur romance, ils mettront un terme à celle-ci mais les regrets ne manqueront pas, comme la scène musicale de l’épilogue le démontre douloureusement.
(Cet épilogue sérieux, je sortais d’une rupture à ce moment, j’en aurais pleuré… ah oups, j’en ai pleuré!)
Et c’est ça finalement qui rend leur histoire intéressante, par rétrospective. Etant donné que finalement Mia a refait sa vie et a eu un enfant avec un autre homme, on peut se dire que ça aurait dû être cette histoire-là dépeinte dans le reste du film, celle qui normalement « compte », celle où on s’engage et on se reproduit avec la personne. Mais ce que La La Land montre avec cette fin et c’est pour ça à mon avis qu’elle a touché tant de monde, c’est à quel point nos histoires nous construisent, peu importe combien de temps elles ont duré et ce que l’on a gardé comme preuve matérielle de cet amour. A l’époque où Mia rencontre Sebastian, elle a clairement besoin de quelqu’un qui croit en elle, la soutient dans ses projets et l’aide à se hisser jusqu’à eux, pas d’un homme avec qui s’installer et faire des mioches. Quant à Sebastian, finalement on le sait moins puisque son point de vue est moins abordé mais il semble être celui qui a le plus souffert de cette situation malgré le fait qu’il soit parvenu à ouvrir son club de jazz comme il le désirait tant. On sent tout de même qu’il aurait plus volontiers sacrifié ce rêve pour garder Mia qu’elle-même n’aurait été prête à le faire. Mais au final peu importe, cette histoire les a transcendé tous les deux, les a amené à être de meilleures versions d’eux-mêmes, a changé leurs vies et on ne trouve finalement pas d’amertume dans leur séparation, le fait de s’être revu semblant avoir chassé leurs vieux démons et leur avoir permis de continuer, tout comme nous nous relevons toujours après une rupture. Ça n’est pas parce que vous n’avez pas terminé votre vie avec cette personne qu’elle n’a pas été importante pour vous, souvent bien au contraire !
Au fond, ces deux films ne sont peut-être pas des happy-end au sens classique du terme et heureusement, car c’est tellement plus réconfortant comme ça !
PS : Je sais que c’est moins le sujet mais tout de même, gros big up à Summer et Mia. Ça fait du bien aussi de voir une nouvelle génération d’héroïnes qui font passer leurs aspirations et leurs projets avant leur histoire d’amour, qui ne sont plus prêtes à se sacrifier pour cela, de ne plus en faire une sorte de malédiction immanente à la vie des femmes, un choix à faire forcément entre leur vie et leur amoureux, sans pour autant que le ciel ne s’écroule sur leur tête. La preuve elles vont très bien. Big up aussi à Tom et Sebastian qui sont aussi des héros qui montrent leurs faiblesses, leurs doutes, leur tristesse et se permettent le luxe de l’absence de contrôle sur leurs vies. Vraiment ça fait du bien et j’espère en voir d’autres encore du même tonneau, et beaucoup !
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Big up!!!
. »Je me demande si on aurait dit la même chose si les rôles avaient été inversés, la femme espérant avoir rencontré le grand amour envers et contre toutes les évidences et l’homme décidant de partir parce qu’il n’y croit pas. Est-ce ma mauvaise foi naturelle qui me fait penser qu’on on aurait bizarrement trouvé ça beaucoup plus normal ? » Ma réponse est non, ç’aurait été très classique.
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