Je n’en ai pour le moment pas (tellement) parlé ici, mais ça vient. J’aime les BDs. Vraiment beaucoup. Pour dire la vérité c’est l’une des choses qui me manquent le plus de la France, car la vie assez facétieuse a fait que je me suis quasiment toujours posée dans des endroits où la culture BD était inexistante ou au moins pauvre. Dans la plupart des pays de l’Est de l’Europe, les dessinateurs ou auteurs fans de ce moyen d’expression ont souvent trouvé asile en France ou en Belgique pour vivre de leur passion. Ici au Portugal, ça bouge un peu plus, timidement et en mode plutôt souterrain, moins qu’en Espagne par exemple mais c’est déjà quelque chose.
Pourtant il y a bien une certaine forme de bande-dessinée qui cartonne (tu l’as?) dans ces différents pays, qui a sans doute amené à la BD un public qu’on n’attendait pas, tout comme en France malgré le fait qu’elle soit pourtant si ancrée de base dans la culture littéraire. Nous avons donc tous en commun un grand intérêt voir amour pour une forme de BD qui vient de très loin.
Saiyuki, de Kazuya Minekura
Je veux bien évidemment parler des mangas.
J’ai commencé à lire des mangas je crois vers l’âge de 13 ans, c’était tout pile le moment où ça ne devenait plus si compliqué à trouver, où l’on commençait à traduire beaucoup de titres célèbres depuis longtemps au Japon parce que, même si en France on considérait toujours ça comme de la sous-culture crasse, le Club Dorothée avait fait son travail et on constatait que tiens, ça se vendait. Bah ça c’est bien alors, on va continuer d’essayer. Quelle riche idée!
C’est ma cousine de 3 ans mon aînée qui m’a initié à la plupart des mangas que je connais aujourd’hui. J’ai bien sûr eu des occasions d’en découvrir par moi-même depuis mais à l’époque, elle a totalement joué le rôle de la grande sœur que je n’avais pas. Grâce à elle, merci à elle, j’ai découvert quantité de livres, de mangas donc, d’animes, de films, de séries, de chanteurs, de groupes. Dont beaucoup que je lis ou écoute encore aujourd’hui avec un plaisir d’autant plus grand que la découverte pure a laissé la place au rituel. Je relis ou j’écoute comme je parle à des amis de longue date, on connaît par cœur nos histoires mais on ne s’en lasserait pour rien au monde.
Le premier manga qui m’a atterri entre les mains était Ranma ½, de Rumiko Takahashi (voir image ci dessus). J’ai d’ailleurs eu l’idée de ce post en voyant passer l’autre jour sur Vice cet article, où l’auteure explique à quel point l’histoire complètement loufdingue de ce garçon qui se transforme en fille lorsqu’il est aspergé d’eau froide (et de ses comparses tous aussi foufous qui se transforment en cochon, panda, chat ou que sais-je selon le même principe) avait été déterminante dans son chemin vers l’acceptation de soi. Je ne peux qu’être d’accord, tant pour moi à cet âge, et même encore aujourd’hui sans doute, Ranma 1/2 ne ressemblait à rien de ce que nous avions connu, si loin des grands héros virils ou alors totalement asexués de la BD franco-belge. Je dirais même que quelque part c’est le premier livre un peu érotique que j’ai eu entre les mains, on voyait beaucoup de fesses et de seins, le héros/héroïne, finalement très à l’aise dans sa peau hermaphrodite, éveillait l’intérêt de représentants des deux sexes de façon totalement aléatoire et c’était très troublant. En plus il y avait énormément de bastons dantesques. Lorsque j’y réfléchis, c’était même très probablement la première BD écrite par une femme que je lisais. C’est dire à quel point le manga a eu à cette époque une influence majeure et salutaire pour renouveler un peu ce mode d’expression par chez nous.
Ça c’était encore au moment où les éditeurs s’embêtaient à mettre les mangas dans le sens de lecture occidental. Au bout d’un moment ils ont fini par voir que lire « à l’envers » n’avait pas l’air de rebuter tant que ça leurs lecteurs. C’est étonnant comme aujourd’hui, par réflexe, ça ne me viendrait pas du tout à l’idée de commencer un manga par la gauche.
Ce qui par la grâce des transitions bien préparées nous amène au deuxième manga que j’ai eu entre les mains. Yu yu Hakusho par Yoshiro Togashi (voir ci-dessus, de nouveau). Un shonen apparemment des plus classiques ai-je découvert par après mais pour moi c’était alors tout nouveau. L’histoire est celle de Yusuke Urameshi, un adolescent voyou et égoïste qui passe son temps à sécher les cours et à se battre à qui mieux mieux. Il se fait un jour renverser et tuer par une voiture en essayant de sauver un enfant d’une mort semblable. Sa mort, vu son caractère, n’ayant pas du tout été prévue par le Roi Enma qui règne sur l’au-delà, il offre à Yusuke une chance de ressusciter si celui-ci s’acquitte de plusieurs épreuves. Cet arc l’occupera sur environ 2 volumes, sur les 19 que compte la série. Autant dire que je ne spoile pas tellement la suite car, une fois tiré d’affaire et revenu sur terre, Yusuke devient détective spirituel pour le compte du Roi Enma et enchaîne ensuite les enquêtes impliquant des bastonnades avec des monstres toujours plus balèzes et des retournements de situations incroyables (mais vraisemblables ! … enfin il me semble). Je dois dire que pour le coup, et c’est encore le cas aujourd’hui, ça n’est pas vraiment ça qui m’a attiré dans ce manga mais plutôt la façon à la fois drôle et fine dont étaient développés les personnages, leur histoire et leurs relations, avec un mélange assez incroyable de pudeur, de nuances et de grosses blagues bien potaches. Aucun d’entre eux n’est fade, linéaire ou même totalement sain d’esprit, ce qui les rendait d’autant plus passionnants. Ah et puis bon, j’étais un peu amoureuse de Kurama, comme tout le monde, faut pas déconner.
(Pour une expertise un peu plus approfondie sur Yu yu Hakusho, je vous conseille cette vidéo)
(X/1999, du studio Clamp)
Vers 16 ans je suis tombée à pieds joints dans la marmite Clamp, ce studio tokyoïte de 4 nanas qui a régné sur les années 90 et probablement 2000 au Japon. Elles avaient leurs thèmes de prédilection, comme la destinée contre laquelle on ne peut rien, les grandes mythologies et les amours passionnelles et contrariées. A 16 ans il ne vous en faut pas plus pour fondre, j’ai donc fondu. J’ai dévoré RG Véda, Tokyo Babylon et X/1999 comme s’ils étaient la seule littérature digne de ce nom au monde. Résistance et coup d’état contre un leader tyrannique sur fond de monde fantasmatique basé sur la mythologie hindoue dans le premier, vie quotidienne d’un jeune exorciste dans le Tokyo contemporain dans le second et carrément bataille pour rien d’autre que la fin du monde dans le troisième. Il y avait beaucoup de drames, beaucoup de morts, c’était du sérieux et de la tragédie, avec parfois des pétages de câble humoristiques qui prenaient par surprise. Je les ai relu récemment et il faut croire qu’entre temps, presque 10 ans plus tard, je me sois adoucie voir transformée en chiffe molle. Les grandes tragédies amoureuses universelles ne me font plus autant vibrer, je suis peut-être trop pragmatique mais j’ai davantage tendance à me dire que, bon, quand ça veut pas ça veut pas, ce que ne feront jamais les personnages de Clamp, les plus jusqu’au-boutiste dans le masochisme qu’il m’ait été donné de rencontrer, encore à ce jour. Mais bon sang qu’est-ce que c’est beau (il faut être sensible aux pétales de cerisier ou aux plumes qui volent de partout et aux immenses yeux mouillés, par contre). Intéressant à noter, les mangas du studio Clamp avaient aussi leur lot d’amours homosexuelles et de personnages au genre plus que trouble qui auraient sans doute valu une demande de bannissement de la Manif pour Tous s’ils avaient eu ça dans leur ligne de mire. Sans mentir, ça faisait aussi partie de l’intérêt que mon moi de 16 ans leur portait. Il est toujours rassurant de voir que le genre et la sexualité, à ce moment-là, ne sont pas aussi simples et figés que ce que l’on nous vend. Sans parler du fait que leurs mangas avaient énormément de personnages féminins badasses, ça n’était pas du tout le cas dans les précédents par exemple…
(Elle par exemple, dans RG Véda)
Il y en eu bien d’autres par la suite. Saiyuki, de Kazuya Minekura, qui a repris dans mon coeur la place laissée vacante depuis Yu yu Hakusho, celle du manga de potes en mission avec spiritualité, dialogues avec l’au-delà, bastons, personnages au passé trouble et adeptes des blagues de prout. Il y a eu Mirage of Blaze, de Kuwabara Mizuna, la série de 13 épisodes la plus frustrante du monde car elle en aurait mérité au moins 500 tant ce qui est dévoilé de l’univers, des personnages et de l’histoire est riche, intense et passionnant. On y suit un groupe d’exorcistes morts lors de guerres fratricides au XVème siècle qui depuis chassent les esprits en possédant des corps humains pour continuer, siècle après siècle, à accomplir leur mission sacrée. C’est celle qui m’a rendu plus lettrée sur l’histoire du Japon, en plus de convoquer les passions amoureuses impossibles et dramatiques qui vont bien. Il y a eu le classique Monster, de Naoki Urasawa, et son enquête atroce qui montre jusqu’où l’humain est prêt à aller dans la haine de son prochain. Il y a eu Death Note, de Tsugumi Ohba et Takeshi Obata, et son analyse trouble de notre rapport au pouvoir et à la mort, avec ses enjeux magnifiés et ses joutes verbales subtiles. Il y a eu les mangas du regretté Jiro Taniguchi bien sûr, celui qui a conquis et convaincu les générations précédant la nôtre (déjà convaincue de base) que le manga pouvait et savait être autre chose que des démons mal coiffés qui se battaient en hurlant et en se jettant des boules de feu.
(Mirage of Blaze, de Kuwabara Mizuna)
Je n’en lis plus vraiment depuis quelques années et je le déplore. Mais l’offre est devenue trop pléthorique, je ne sais plus bien où me renseigner et aucun titre ne m’a fait de l’œil depuis des années, en fait depuis que Death Note s’est terminé. Je manque de défricheurs, ne jouant plus moi-même ce rôle pour certains. Nombre de classiques sont pourtant toujours en attente d’être sinon découverts, au moins lus.
Trop à voir, trop à lire, comme d’habitude. On ne s’en sortira jamais !